Michael Denton : ambiguïtés et fluctuations

le 23 septembre 2023 dans Compléments

Michael Denton est un biologiste d’origine britannique, né en 1943. Son ouvrage Evolution: A Theory in Crisis, publié en 1985, lui a valu l’estime de beaucoup de chrétiens opposés à la théorie de l’évolution.

Cette estime est-elle bien méritée ? Il convient d’y regarder de près, car le débat autour de l’évolution est obscurci par une confusion récurrente entre deux notions : d’un côté, la théorie de l’évolution affirme que toutes les espèces vivantes descendraient de quelques formes de vie rudimentaires, qui se seraient complexifiées et diversifiées au cours des générations ; de l’autre, les théories explicatives de l’évolution recherchent les causes de ce processus hypothétique de transformation des espèces. Une erreur fréquente consiste à interpréter les critiques de certaines théories explicatives, notamment du darwinisme, comme un rejet de l’évolution elle-même.

Cet écueil est d’autant plus insidieux que les biologistes sont parfois peu attentifs à marquer les distinctions nécessaires ; en particulier, il arrive que des auteurs anglophones utilisent le mot evolution pour désigner à la fois la théorie de l’évolution et le darwinisme, celui-ci ayant depuis longtemps éclipsé les autres théories explicatives dans les pays de langue anglaise.

Pour savoir si Michael Denton rejette réellement la théorie de l’évolution, il faut donc considérer attentivement le contenu de ses livres, sans s’arrêter à la première impression donnée par les titres.

Evolution: A Theory in Crisis (1985)

Cet ouvrage est une critique vigoureuse du darwinisme, mais, contrairement à ce que laisserait prévoir le titre, l’attitude de l’auteur à l’égard de la théorie de l’évolution y est floue et mouvante. L’ambiguïté est particulièrement sensible aux pages 154 et 155. Nous lisons d’abord :

Invariably, as biological knowledge has grown, common genealogy as an explanation for similarity has tended to grow ever more tenuous. Clearly, such a trend carried to the extreme would hold calamitous consequences for evolution, as homologous resemblance is the very raison d’être of evolution theory. Without the phenomenon of homology – the modification of similar structures to different ends – there would be little need for a theory of descent with modification1.

Voilà une mise en cause claire de la théorie de l’évolution : l’auteur insinue que l’on pourrait avoir tort d’interpréter les relations de similitude entre les espèces comme des relations de parenté. Mais quelques lignes plus loin, le ton change :

The discussion in the past three chapters indicates that the facts of comparative anatomy and the pattern of nature they reveal provide nothing like the overwhelming testimony to the Darwinian model of evolution that is often claimed. Simpson’s claim that “the facts simply do not make sense unless evolution is true” or Dobzhansky’s that “nothing in biology makes sense except in the light of evolution” are simply not true if by the term evolution we mean a gradual process of biological change directed by natural selection2.

Cette fois, la critique est expressément restreinte à l’explication darwinienne de l’évolution, dont l’élément central est la notion de sélection naturelle. Et l’auteur de poursuivre :

It is true that both genuine homologous resemblance, that is, where the phenomenon has a clear genetic and embryological basis (which as we have seen above is far less common than is often presumed), and the hierarchic patterns of class relationships are suggestive of some kind of theory of descent. But neither tell us anything about how the descent or evolution might have occurred, as to whether the process was gradual or sudden, or as to whether the causal mechanism was Darwinian, Lamarckian, vitalistic or even creationist. Such a theory of descent is therefore devoid of any significant meaning and equally compatible with almost any philosophy of nature3.

Nous apprenons à présent qu’une certaine évolution des espèces est tout compte fait plausible, mais que, faute d’en connaître le mécanisme explicatif, il est inutile de s’y intéresser… Ceux qui s’attendaient à trouver dans le livre une réfutation de la théorie de l’évolution en sont pour leurs frais.

Nature’s Destiny (1998)

Dans ce nouvel ouvrage, Michael Denton prend clairement parti pour la théorie de l’évolution, sans toutefois s’expliquer sur les ambiguïtés de son précédent livre :

Contrary to the creationist position, the whole argument presented here is critically dependent on the presumption of the unbroken continuity of the organic world – that is, on the reality of organic evolution and on the presumption that all living organisms on earth are natural forms in the profoundest sense of the word, no less natural than salt crystals, atoms, waterfalls, or galaxies4.

Evolution: Still a Theory in Crisis (2016)

À nouveau, la théorie de l’évolution est affirmée en des termes qui ne laissent place à aucune équivoque :

There is a tree of life. There is no doubt that all extant life forms are related and descended from a primeval ancestral form at the base of the tree5.

En outre, l’auteur nie avoir jamais songé à contester la théorie de l’évolution, en admettant toutefois que le langage maladroit de son premier livre, confondant évolution et darwinisme, ait pu tromper certains lecteurs :

I have a clarification to make regarding the title my earlier book Evolution: A Theory in Crisis. As that book was a critique of Darwinian causation and not of the theory of common descent, a more appropriate title might have been Darwinism: A Theory in Crisis. I think I used the words “evolution” and “Darwinism” too loosely, conveying the impression that they referred to the same thing, when of course these are two very different concepts. In many places, where I should have used the term “Darwinian evolution” rather than “evolution,” I created the impression that I doubted the notion of common descent. But many other authors are also guilty of the same confusion […] 6

Phrases such as “the evidence … does not provide convincing grounds for believing that the phenomenon of life conforms to a continuous pattern” (page 194), “if gradual evolution is true” (page 228), and “Nature has not been reduced to the continuum that the Darwinian model demands” (page 357) do convey the impression of denying evolution and common descent. This was not my intention7.

Cette mise au point laisse plusieurs questions en suspens. Pourquoi, alors qu’il reconnaît que le titre de son premier livre pouvait induire en erreur, l’auteur publie-t-il un nouvel ouvrage sous un titre presque identique ? Pourquoi, tout en citant des passages ambigus de son premier livre, passe-t-il sous silence ceux qui mettaient le plus clairement en cause la théorie de l’évolution ?

Plus déconcertante encore est l’affirmation suivante :

But common descent, or “descent with modification,” has never been in doubt since Alfred R. Wallace’s famous “Sarawak Law Paper” (written in Borneo in February 1855), in which he concluded: “Every species has come into existence coincident both in space and time with a pre-existing closely allied species.” Given the facts that Alfred Wallace assembles in his Sarawak Law paper, descent with modification can hardly be doubted8.

Ainsi, la théorie de l’évolution n’aurait jamais été mise en doute depuis 1855, quatre ans avant la publication de L’origine des espèces ! L’auteur espère-t-il, par cette prétention extravagante9, éloigner le soupçon d’hétérodoxie qui pèse sur lui aux yeux des évolutionnistes ?

Conclusion

Faute d’avoir lu assez attentivement les ouvrages de Michael Denton, certains chrétiens opposés à la théorie de l’évolution croient voir en lui un allié. Pourtant, si cet auteur a pu donner des arguments pertinents contre le darwinisme, il n’est ni un véritable adversaire de l’évolution, ni d’ailleurs un véritable chrétien ; son rapport à la religion est, comme son rapport à l’évolution, ambigu et fluctuant :

I’m on the edge of skepticism about theism myself. […] Most of my life I’ve been pretty agnostic, and would only describe myself perhaps as a backslidden Christian, though I’m not in any sense a fervent believer in a God, or the Christian God10.


  1. Evolution: A Theory in Crisis, London 1985, p. 154. ↩︎

  2. Ibid. ↩︎

  3. Ibid., pp. 154-155. ↩︎

  4. Nature’s Destiny, New York 1998, p. xviii. ↩︎

  5. Evolution: Still a Theory in Crisis, Seattle 2016, p. 112. ↩︎

  6. Ibid., p. 111. ↩︎

  7. Ibid., p. 304. ↩︎

  8. Ibid., p. 87. ↩︎

  9. En France, les biologistes évolutionnistes ne devinrent majoritaires qu’au début des années 1880, et des savants unanimement respectés s’opposèrent à la théorie de l’évolution bien plus tard ; citons seulement Louis Bounoure (1885-1966). Cf. Cédric Grimoult, Histoire de l’évolutionnisme contemporain en France, 1945-1995, Genève 2000, pp. 18-20. ↩︎

  10. Fundacja En Arche, Entretien avec Michael Denton, publié sur Youtube le 23 octobre 2019, 9:54 & 10:52. ↩︎